Accueil Actualités Une coordination parlementaire de lutte contre la corruption : Un doublon de l’Inlucc ?

Une coordination parlementaire de lutte contre la corruption : Un doublon de l’Inlucc ?

L’article 4 est plus précis : il dispose que ladite coordination se charge de l’élaboration d’une stratégie nationale quinquennale de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption. La coordination sera également chargée, selon le texte de loi, d’élaborer des plans annuels pour la mise en œuvre de cette stratégie et son évaluation sur la base d’objectifs fixés à cet effet.


La Commission de l’organisation de l’administration et des forces armées a débattu hier au palais du Bardo, avec les quelques députés qui ont daigné faire le déplacement, de la proposition de loi n°002/2021 relative « à l’appui et la coordination des efforts de l’Etat dans le domaine de la gouvernance et de la lutte contre la corruption ». Une initiative parlementaire toute fraîche, à l’intitulé attrayant, un peu vague, certes.

Qui sont les auteurs cette initiative législative ? Trente députés, relevant massivement du bloc de la Réforme à hauteur de 80% ;  le bloc Ennahdha est représenté avec 52%, talonné par la coalition El Karama, 50%. Le bloc démocrate occupe la quatrième position avec 35% de l’ensemble des signataires. Qalb tounès vient à l’avant-dernière place avec 26,67%, et, en fin, le bloc Tahya Tounès est représenté par 20%.

Une initiative consensuelle. Fait peu ordinaire, les auteurs sont issus autant de la majorité parlementaire que de l’opposition, que de ceux de l’entre-deux, à l’intersection des deux bords. Se positionnent dans l’un ou l’autre camp, au gré des jours et des humeurs, et, surtout, des dividendes à en tirer.

Une mégastructure avec des attributions très larges

Que dit cette proposition de loi ? Elle comprend 18 articles, dont les premiers parlent davantage de concepts généraux, à l’instar de celui-ci : « l’Etat veille à la bonne gestion des finances publiques ». Ensuite, le voile se lève peu à peu sur un texte qui organise la création d’une « coordination », dans laquelle départements ministériels, institutions et organismes nationaux seront représentés. Dans l’article 3, il est stipulé que conformément aux décisions du président de l’Assemblée et sur proposition de la commission concernée, on procédera à la mise en place des dispositions réglementaires, des mécanismes de participation et des consultations pour l’organisation et le suivi de cette nouvelle structure. L’article 4 est plus précis : il dispose que ladite coordination se charge de l’élaboration d’une stratégie nationale quinquennale pour la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption.

La coordination sera également chargée, selon le texte de loi, d’élaborer des plans annuels pour la mise en œuvre de la stratégie et son évaluation sur la base d’objectifs fixés à cet effet.

Dans l’article 5, la composition de la coordination est déterminée par décision du président de l’Assemblée. Et, pour ne fâcher personne, ses membres représentent les autorités compétentes, les ministères, les structures publiques, les organismes spécialisés, les organisations nationales. Des compétences seront également proposées  d’en faire partie.

Tous les articles donnent à penser que l’on se prépare à créer une mégastructure avec des attributions très larges. L’article 17 vient à le confirmer. « Le projet sera soumis à la session plénière de l’Assemblée des représentants du peuple, à la présidence de la République, à la présidence du gouvernement et au conseil supérieur de la magistrature, qui seront invités à exprimer leurs avis et soumettre leurs propositions dans un délai ne dépassant pas un mois (s’il vous plaît). À l’expiration du délai, l’absence de réponse vaut acceptation». Nous n’avons pas vu autant de célérité pour créer la Cour constitutionnelle qui aurait évité au pays tant de déboires.

Quant au dernier article, le 18, eh bien, outre la pléthore d’organismes déjà existants, financés par l’Etat, « les lois de finances devront autoriser les ressources nécessaires pour la mise en œuvre de cette coordination aux fins de financer la stratégie quinquennale de lutte contre la corruption, à toutes les étapes, depuis la préparation et la mise en œuvre, en passant par le suivi, et, enfin, l’évaluation. »

Un organisme pérenne et indépendant

Le Parlement a déjà une commission parlementaire de la réforme administrative, de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption (justement), et du contrôle de la gestion des deniers publics (re-justement). Oui, mais elle est spéciale, a-t-on entendu dire. Si les commissions spéciales venaient à disparaïtre, cette « coordination », elle, est permanente. Autre question embarrassante : que fait-on de l’Inlucc ? « C’est une instance finalement malléable qui s’adapte avec les orientations (politiques) de son président qui peut l’aiguiller vers la direction qu’il souhaite.

C’est ce à quoi nous avons assisté avec l’ancien président et même avec l’actuel. Alors que nous voulons doter la Tunisie d’un organisme pérenne et indépendant, non tributaire d’une conjoncture ou d’une personne. » Pourquoi ne pas corriger l’existant ?

Non, il faut une structure parlementaire pur jus, pour dire les choses telles qu’elles sont. Cette fameuse coordination de lutte contre la corruption est un doublon de l’Instance de lutte contre la corruption qui semble avoir fait preuve de rébellion impardonnable. L’on s’apprête alors à lui créer un sosie qui obéira cette fois-ci aux maîtres du Bardo, à la faveur d’une proposition de loi à l’intitulé alambiqué : « L’appui et la coordination des efforts de l’Etat dans le domaine de la gouvernance et de la lutte contre la corruption ». Il faut se méfier des titres pompeux, ils cachent mal les visées de ceux qui les inventent.

Au-delà des vœux pieux, comment expliquer l’engouement des élus, toutes couleurs confondues, à l’endroit de cette entreprise ? Seraient-ils en train de se positionner stratégiquement dans une future galaxie qui détiendra un véritable pouvoir politico-financier, en mesure d’exercer toutes sortes de pressions.

De jeter l’opprobre sur les indociles, et, inversement, de les blanchir d’un simple coup de brosse ?

Si les mots, enfin, sont le privilège des journalistes, des écrivains et plus simplement l’outil de tout le monde. Les paroles des politiques doivent être traduites en actes concrets. Est-il besoin de le rappeler, on ne change pas le monde avec les mots, et, pour être dans le contexte, avec cette profusion d’officines qui prétendent lutter contre la corruption. Commerce fort juteux par les temps qui courent.

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